Une petite histoire d’Asana

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« āsana non assis »


Mark Singleton a publié en 2010 un livre : Yoga Body : Les origines de la posture moderne, qui a marqué un tournant dans l’histoire de la culture mondiale des asanas. Selon lui, le yoga postural contemporain fut inventé en Inde au XIXe siècle. Il soutient qu’un yoga international, anglophone, est né à cette époque, fruit du mélange improbable de la culture physique britannique, de la Science chrétienne, de la naturopathie, de la gymnastique suédoise et de la Young Men’s Christian Association (YMCA). Autant d’éléments qui se sont agrégés pour donner naissance à une forme réinventée de yoga postural, spécialement conçue pour le public occidental.
(voir article « les contorsions du Yoga »)
Jason Birch, en 2013 a présenté des travaux en se basant sur des manuscrits du XVIIe et XVIIIe siècles trouvés dans diverses bibliothèques en Inde (entre autres le Haṭhābhyāsapaddhati) relatifs à la pratique de nombreuses asanas aux 17e et 18e siècles. Ces textes suggèrent qu’il y avait bien plus de 100 âsana pratiquées en Inde avant l’arrivée des Britanniques.
« De manière générale, il y a très peu de postures assises, en avant, en arrière, de torsion et d’équilibre sur les bras dans le yoga moderne qui n’ont pas été anticipées par ces sources des XVIIe et XVIIIe siècles « .
Il a pu identifier une liste complète de 84 asanas dans un manuscrit du 17e siècle, le Yogacintāmaṇi.
« La majorité de ces âsana n’étaient pas des postures assises, mais des postures complexes et physiquement exigeantes, dont certaines impliquaient des mouvements répétitifs, le contrôle du souffle et l’utilisation de cordes. « 

L’expression « āsana non assis » est un oxymore, si l’on prend sa signification première en sanskrit, « siège ». Cependant, dès la fin du Moyen Âge, la notion de āsana en est venue à faire référence à pratiquement n’importe quelle posture physique.

Les récentes découvertes de postures, dont certaines non assises, gravées sur les piliers des temples de Vijayanagara à Hampi (XIV-ème), dans le Karnataka apportent un point de vue nouveau sur l’histoire des Asana.
Ces sculptures représentent des preuves visuelles précoces importantes et négligées, de la pratique des postures debout, d’inversions et de postures d’équilibre complexes dans l’Inde du Sud dès la fin du Moyen Âge. Ces sculptures semblent anticiper des formes posturales pour lesquelles nous n’avons aucune trace textuelle avant le XIXe ou le XXe siècle.
La Mahabharata (compilée environ en -400 av JC) témoigne à de nombreux endroits, que les postures debout étaient courantes chez les Tapasharya (ascètes). Nous trouvons de nombreuses fresques, peintures murales et bas-reliefs d’anciens temples illustrant les postures de yoga en position debout.
Par exemple, les sculptures du temple Pallava de Mahabalipuram, datées de l’an 600, où l’on voit des personnages (dont un chat), effectuant des ascèses dans les postures classiques comme le Tadasana et le Vrikshasana.
C’est un bas-relief grandiose, peut-être un des plus grands au monde (25 m de long × 12 m de hauteur), véritable œuvre d’art, sculpté dans deux monolithiques.

La pénitence d’Arjuna ou la descente du Gange

Ce détail du chat imitant la posture d’un ascète, avec les souris qui le vénère, serait un avertissement par rapports aux Yogis. Si effectivement ils peuvent effectuer un exploit vénérable, les souris ignorent toujours que le chat utilise la pose pour jouer avec eux afin qu’il puisse avoir son choix au moment de son repas.

Cette fresque fait l’objet de deux interprétations différentes :

La première interprétation consiste à dire qu’un des personnages du bas-relief, qui se tient debout sur une jambe les mains levées au ciel, est Arjuna, le héros de l’épopée du Mahabaratha. Il est en train d’effectuer une ascèse afin d’obtenir l’arme la plus puissante du dieu Shiva, la Pasupata Astra, censée vaincre les Kauravas, ses cousins ennemis. La Pasupata Astra, serait une arme lançant des flèches à répétition.

Selon la deuxième interprétation, le personnage se tenant sur une jambe n’est pas Arjuna mais le sage Bhagiratha effectuant une ascèse afin de faire couler le Gange sur terre pour laver les cendres de ses proches et les libérer de leurs péchés.

Certains théoriciens pensent aussi que cette fresque a une double narration en simultanée décrivant à la fois l’histoire d’Arjuna et de Bhagiratha.

Un tronc commun

Nous trouvons des traces de postures de yoga standard dans des positions debout, accroupi ou en flexion dans d’autres groupes extra-yogiques tels que ceux de la Natya (danse) et les pratiquants d’arts martiaux hindous. Les textes de Dhanurvéda (traité sur l’art de la guerre, diversement intitulés et différemment datés) nous indiquent des Asana spécifiques étaient utilisés à des fins spécifiques.

Le développement des pratiques dynamiques du hatha-yoga pourrait être lié aux arts martiaux traditionnels indiens et certainement… aux danses. Il semble exister des emprunts et un enrichissement mutuel des techniques (mais pas en ce qui concerne les objectifs) entre ces systèmes. Par exemple, un livre de NE Sjoman intitulé « La tradition du yoga du palais de Mysore » contient des illustrations de textes de Mala Purana : des exercices préparatoires pour les combattants hindous professionnels qui ont été utilisés de manière sélective par Shri Krishnamacharya dans ses enseignements de hatha yoga. Dans le sud de l’Inde, dans un art martial Kalaripayattu, il existe des exercices similaires aux asanas et aux vinyasa.

Les préparations et les mouvements de base dans les danses indiennes comprennent non seulement les éléments des asana hatha-yoga, mais également des variantes complètes des asana considérés comme classiques.

« Karana », temple de Veerateshvara