Causerie du 16 juin

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Suggestion  pour cette causerie : La mémoire est un empêchement à la pratique du Yoga. Comment comprendre cela dans la pratique de l’Ashtanga Yoga ou il est nécessaire de mémoriser des postures, des enchaînements etc..

 

La mémoire dans la tradition Indienne classique du Yoga, est répertoriée dans citta vrtti.

yogah cittavṛtti nirodhaḥ : le Yoga est la suspension des activité automatiques du mental, est la définition classique donné par les Yoga Sutra de Patanjali.

Les Yoga sutra de Patanjali est un des ouvrages de référence du Yoga.  Entre 200 avant JC et 300 après JC, une lignée de sages,  nommée Patañjali, synthétise et organise les techniques d’ascèse héritées du Véda. Cette synthèse est présentée sous forme d’un enseignement raisonné des différents aspects du Yoga. Les Yoga Sutra Patañjali, reprennent les doctrines traditionnelles et exposent les pratiques traditionnelles qui ont fait leurs preuves. Ces Sutras semblent être un « aide mémoire » pour les enseignants, une charpente pour édifier un enseignement.

cittavṛtti :

  • « Vr » = faire tourner, par extension, choisir, sélectionner) mouvement, changement, dynamisme, fluctuation, tourbillon

Vrit = exister, vritti:  manière d’être

  • Citta est le champ mental, c’est-à-dire l’espace délimité de la perception et de la réflexion.

1) Le mental compris dans son sens le plus étendu, substance de la pensée, de l’esprit;
2) la faculté d‘attention, de sélection et de rejet;
3) le réceptacle de tous les souvenirs et de toutes les tendances

 

Le Yoga Sutra définissent 5 cittavṛtti :

pramāa viparyaya vikalpa nidrā smtaya YS I 6

Elles sont (les vrtti) la connaissance juste, l’erreur, l’imagination, le sommeil (l’inconscience) et (ou) la mémoire.

Smrti est la capacité à conserver intact l’écho des objets et des expériences et à se les représenter dans leur forme initiale : c’est la mémoire.

anu-bhūta-viṣaya-asaṁpramoṣaḥ smṛtiḥ YS I 11

la mémoire est le souvenir non modifié de paroles et d’expériences.

 La mémoire est constituée par la conservation des empreintes laissées par les expériences vécues.

Smrti est ce qui constitue essentiellement notre psyché : nous sommes faits de résonances du passé et ne percevons le présent qu’à travers le filtre de nos expériences passées, ou de celles des autres.

Donc effectivement la mémoire est une de nos activités psychiques et cette activité exclu l’état de Yoga, selon la définition des Yoga Sutra.

Mais le Yoga tel qu’il est définit dans cette tradition, est à la fois un état et un processus.

Le Yoga est processus,  c’est le chemin, la voie où il y oscillation du mental entre mouvements, activités et immobilité, silence, et le Yoga est un état où la stabilité ne s’oppose plus à la variabilité, mais ou les deux se confondent, c’est l’état de Samadhi.

 

Effectivement la mémoire est naturellement exclue de l’état de Yoga. La mémoire est le réservoir de la connaissance humaine, des expériences, des habitudes, des conditionnements.  A chaque interaction entre soi et le monde, le mémoire s’active et nomme, sélectionne, colore, juge, perturbe ce qui est perçu en fonction de ce qui a été vécu.

« Quand le mouvement de ces perturbations s’arrête, qu’il fait place à l’immobilité (nirodha), sans condition ni suppression ni répression, alors seulement a lieu la perception yogique, l’interaction yogique avec ce qui est vu, ce qui est observé, la nature. La science du yoga dit que la souffrance s’enracine dans une perception incorrecte ou incomplète ou déséquilibrée. Citta – lieu où sont déposées les mémoires, la connaissance passée et l’expérience de la race humaine – est le terreau où poussent le malheur et la souffrance. » Vimala Thakar

La mémoire s’oppose donc à la liberté inconditionnelle dans laquelle la connaissance du monde et de soi peut avoir lieu.

« Cette capacité à emmagasiner le savoir, la capacité de la mémoire à stocker les expériences, les schémas de comportement, cela est devenu un fardeau pour cette matière cérébrale universelle. C’est devenu un fardeau pour la pure vision. L’acte de voir s’est encombré des résultats emmagasinés par cette vision, ce savoir. » Vimala Thakar

Dans l’état de Yoga la mémoire est immobile et la perception directe, le véritable contact vivant avec la réalité devient possible.

 

Dans le processus du Yoga, une forme particulière de mémoire a toute sa place.

C’est une mémoire affranchie de préférences, de préjugés, d’affirmations, de compulsions et d’obsessions. Ce type de mémoire n’est pas centrée sur l’égo, l’émotion ou le savoir verbal ou idéologique.

Vimala Thakar la nomme la mémoire (smrti) de l’identité existentielle. Celle ci est enfouie sous l’identité créée par les hommes et la vie en société. La résurgence de la mémoire de l’identité existentielle mène au samâdhi par un processus de nettoyage des mémoires personnelles.

 

Cette mémoire claire, non interprétée, non appropriée par le « je », libre d’émotion est connaissance directe.  Elle peut nous permettre grâce au souvenir intact des expériences vécues, d’établir en nous la pratique du discernement. Les Bouddhistes nomment ce type de mémoire,  » la vigilance remémorative »

 

De plus la structure même de la vie est mémoire.

Certes elle nous maintient dans l’illusion mais  elle nous rappelle aussi la connaissance et les pratiques  qui dispersent cette illusion.

Patanjali décrit Smrti comme une des composantes qui vont nous permettre d’accéder à l’état de Samâdhi, être pleinement  conscient.

« (d’autres) atteignent la sagesse du Samâdhi grâce à la foi, une puissante volonté, et à la mémoire » Y.S. I,20

Certaines voies du yoga utilise aussi provisoirement la mémoire pour remonter le cours des conditionnements et consolider les disciplines.

La capacité de nous rappeler avec justesse et clarté les expériences vécues, par nous-même ou par d’autres, de les re-tenir pour en tirer des leçons, est le fondement de Viveka, le discernement. Elle est un moteur d’évolution et de renouveau, car elle nous permet d’analyser et de comprendre les facteurs qui ont favorisé et nourri telle ou telle expérience, les positives, bien sûr, mais aussi les négatives, les destructrices.

Les pratiques de Yoga (Asana, Pranayama) utilisent nécessairement la mémoire. Cette activité psychique peut être impersonnelle et seulement « technique », au service de l’intention profonde qui sous tend la pratique.

Un mouvement du corps repose sur une structure mémorisée. Il est possible de reproduire un Asana, vide de tout préjugé, projection, peur, envies, qui sont autant de perturbations psychiques issues de mémoires.

On peut appeler cela une mémoire neutre.